Lina Aljijakli, réfugiée syrienne, pose devant l’un de ses tableaux à l’Atelier des artistes en exil, dans le 18e arrondissement de Paris. Crédit : Maëva Poulet
Lina Aljijakli, réfugiée syrienne, pose devant l’un de ses tableaux à l’Atelier des artistes en exil, dans le 18e arrondissement de Paris. Crédit : Maëva Poulet

L'Atelier des artistes en exil, une structure unique en France, a ouvert ses portes vendredi 22 septembre. Situé dans le 18e arrondissement de Paris, ce lieu associatif - et éphémère - accompagne une centaine d’artistes, ayant fui leur pays, dans leurs projets.

Dans une grande salle aux murs verts, deux femmes dessinent silencieusement chacune de leur côté. "Ici, c’est très calme, je peux me concentrer", murmure dans un sourire Lina Aljijakli. La jeune femme originaire de Syrie reprend seulement la peinture après une interruption de sept ans. Venue étudier en région parisienne grâce à une bourse syrienne en 2010, Lina n'est jamais retournée dans son pays : le conflit en Syrie se déclenche l’année suivante et la contraint à rester en France. 

Faute d’espace et de temps, en sept ans, l’artiste n'a pu faire qu’une seule toile : un portrait en acrylique d’une fillette aux yeux immenses auquel elle tient énormément. "Cette petite fille, je crois qu’elle a vu tout ce que j’ai enduré", confie-t-elle. "Ce n’était pas facile de peindre dans la petite chambre de 10 m2 où je logeais à mon arrivée. La peinture sentait tellement fort que je n’avais même pas pu dormir dans ma chambre ce soir-là", se souvient-elle.

Aujourd'hui, grâce à L'Atelier des artistes en exil*, Lina a pu reprendre ses pinceaux. L'association met à sa disposition - et à celle de nombreux autres artistes en exil - des locaux, situés au premier étage d'un immeuble, rue des Poissonniers, à Paris. En tout, ils sont plus de 120 artistes, venus d’une quinzaine de pays différents, à pouvoir profiter d'un havre de paix pour laisser libre cours à leur imagination. Le projet, porté par deux personnalités du théâtre parisien, Judith Depaule et Ariel Cypel, est unique en France. Voire "même en Europe", assurent les deux fondateurs.  

"Le milieu culturel français est difficile à comprendre et à intégrer"

Jusque l’an dernier, le duo pilotait un autre espace culturel militant d'où ils avaient lancé un appel national invitant des lieux artistiques à accueillir des réfugiés. "Nous avions hébergé trois Syriens dans nos locaux, en transformant les bureaux en espace de vie", expliquent-ils. Quelques mois plus tard, en 2016, ils organisent le festival "Péril(s) Syrie" lors duquel ils programment plusieurs artistes syriens. L’occasion d’une véritable prise de conscience : "En discutant avec ces artistes, nous avons réalisé à quel point il était difficile pour eux de poursuivre leur parcours artistique en France", explique Judith Depaule. Et ce, sans compter les difficultés que peuvent représenter les démarches administratives et la barrière de la langue. 

Fort de ce constat et suite à la fermeture de leur espace culturel, baptisé Confluences, fin 2016, les deux amis se lancent à la recherche d’un nouveau lieu dédié à l’accompagnement artistique et juridique de peintres, écrivains, photographes, musiciens ou performeurs, arrivés en France depuis peu.

C’est finalement Emmaüs qui, séduit par l’idée, leur a prêté en avril des locaux en voie de destruction dans le 18e arrondissement parisien. "Nous devrions pouvoir y rester jusqu’à l’été", précise Judith Depaule. D'une surface de 1 000 m2, cet ancien centre de formation dispose de 19 salles, dont 15 ateliers ou studios de répétitions et 4 espaces partagés. Officiellement inauguré le 22 septembre, ce lieu associatif est soutenu financièrement par l’ONDA [l’Office National de Diffusion Artistique], la Ville de Paris, le ministère de culture, le Quai d’Orsay et le fonds de dotation Porosus.

Mettre des mots sur l’exil

Les premiers artistes s'y sont installés dès le mois juin, puis d’autres sont arrivés au cours de l’été. "Depuis l’inauguration du lieu, nous recevons de plus en plus en demandes", soufflent les deux fondateurs, qui ont embauché pour les épauler Karam Mohammed, un jeune webmaster soudanais arabophone dont la présence facilite les échanges. "Nous cherchons des personnes très motivées quelle que soit leur situation administrative (réfugiés, déboutés, sans papiers). Et ce, tout en restant ouverts à la diversité des profils : si certains avaient déjà un parcours artistique dans leur pays, d’autres sont devenus artistes par la force des choses. Il leur fallait raconter l'exil. Nous devions leur faire une place", détaille Judith Depaule.

Mohamed Nour Wana est Soudanais. Après avoir grandi et Tchad et en Libye, il est arrivé en France à l’été 2016. Aujourd’hui, il est accompagné par l’Atelier des artistes en exil dans ses travaux d’écriture, notamment de poésie.  Crédit : Maëva Poulet

Raconter son exil, Mohamed Nour Wana ne fait que ça. Né au Soudan, puis arrivé en France en 2016 après avoir grandi au Tchad et en Libye, le poète s’est déjà fait remarqué à plusieurs reprises. En septembre dernier, ses textes poignants "Sans Papiers" , ou "Adieu maman" avaient été publiés sur le site  du "collectif parisien de soutien aux exilé-e-s". Aujourd'hui, il s’attelle à l’écriture d’un livre. "Je mets des mots sur tout ce que l’on traverse quand l’on quitte son pays", confie-t-il.

Le jeune écrivain évoque également l’idée de mettre en musique certains de ses textes. Pour cela, l’Atelier devrait lui faciliter la tâche. Un grand salon partagé permet ainsi aux artistes de se retrouver autour d’un thé et de discuter de leurs projets. Ce jour-là (lundi 25 septembre), Mohamed essaie justement de convaincre Wael Alkak , un instrumentaliste syrien, de l’aider à composer une chanson en lui faisant écouter du rap français. "Pas mon style, mais on va essayer", lui répond amusé Wael, dont le travail s’inspire largement de la musique traditionnelle syrienne.

Donner la parole aux artistes exilés

À leur échange se joint furtivement Samer Salameh, un cinéaste de 32 ans. Ce jeune palestinien, originaire du camp de Yarmouk en Syrie, vient de terminer son dernier documentaire, "194 Us Children of the camp" qui évoque son quotidien pendant la révolution syrienne. Le film sera diffusé à Paris en avant-première le 14 novembre prochain au Festival Vision d'Exil**. Pendant ce festival d’une semaine, d’autres domaines artistiques comme la sculpture, l’écriture et la musique seront mis à l’honneur grâce à la participation de 25 artistes de l'association, mais aussi d’artistes non exilés pour "croiser les regards et susciter des rencontres".

Les deux fondateurs souhaitent que leur atelier devienne un tremplin pour les artistes et qu’ils puissent, à terme, avoir carrière artistique professionnelle. "L’Atelier n’est pas un lieu de représentation mais de création. D’où l'importance d'organiser ce festival. Nous souhaitons aider les artistes à se produire en dehors de nos murs", précisent Judith Depaule et Ariel Cypel qui soutiennent également les plus motivés dans leur parcours pour  intégrer des écoles françaises d’art.

En donnant "la parole" à ces artistes, l'enjeu est avant de tout "de sensibiliser, d’inviter les spectateurs à changer de prisme, et peut-être même de changer la vision négative que beaucoup peuvent avoir sur l’exil…".


* Atelier des artistes en exil : 102 rue des Poissonniers 75018 Paris. Tél :  01 53 41 65 96

** "194 Us Children of the camp" sera diffusé dans le cadre du festival Visions d’Exil, organisé par l’Atelier des artistes en exil, au Musée nationale de l’Immigration du Palais de la Porte Dorée.

 

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