Raphaël Pitti, médecin humanitaire français, a décidé de renoncer à la Légion d’honneur pour dénoncer la politique migratoire du gouvernement d’Emmanuel Macron.
Raphaël Pitti est médecin humanitaire pour l’ONG UOSMM (Union des organisations de secours et soins médicaux). À la mi-décembre, il a décidé de renoncer à la Légion d’honneur pour protester contre la politique migratoire du président français.
Depuis de nombreuses années, Raphaël Pitti, également conseiller municipal en charge de l'urgence sanitaire et sociale à Metz, soigne des victimes à travers le monde. Récemment, l’ancien militaire était au Bangladesh aux côtés des Rohingyas, cette minorité musulmane qui fuit les persécutions dont elle est victime dans la Birmanie voisine.
Il a accepté de répondre aux questions d’InfoMigrants.
- Pourquoi avez-vous décidé de renoncer à votre Légion d’honneur ?
La circulaire envoyée aux préfets début décembre par le ministère de l’Intérieur et le ministère de la cohésion des territoires a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
Comment peut-on oser demander à des membres associatifs de dénoncer les sans-papiers qui se trouvent dans les centres d’hébergement d’urgence ? Comment peut-on leur demander de trier les migrants ? Ce n’est pas la mission des humanitaires de pratiquer la délation. Ce genre de méthodes rappelle malheureusement une triste période, celle de Vichy !
- Quelle est la situation dans votre ville, à Metz ?
Depuis 2014, je me bats chaque année à Metz pour que la préfecture mette en place un SAS transitoire, une sorte de lieu de transition le temps que des places se libèrent en CADA. Des dizaines de migrants vivent à la rue dans des conditions inacceptables sans pouvoir se laver, assouvir leurs besoins élémentaires, avoir accès à de l’eau et de la nourriture.
C’est insupportable de devoir se battre pour de l’eau et des distributions alimentaires. Actuellement, ils sont encore 90 dans la rue, dont des femmes et des enfants âgés de 2 à 16 ans.
- Vous avez soutenu le candidat Macron lors de la dernière campagne présidentielle, êtes-vous déçu par sa politique ?
On n’a jamais vu cela auparavant, personne n’avait osé aller aussi loin en matière d’immigration. Il est clair que la politique migratoire qui est mise en place n’est pas celle que le candidat Macron avait promis.
Il s’était engagé à accueillir 30 000 réfugiés syriens sur le sol français, où sont-ils aujourd’hui ? Le Président avait assuré en juillet dernier qu’il n’y aurait plus personne dans la rue d’ici la fin de l’année. Or, nous sommes le 28 décembre et des centaines de migrants dorment toujours dehors.
On chasse les migrants dans les forêts, on brûle leurs tentes… Pendant le Ramadan, la police renverse leur repas lors de la coupure du jeûne. Ces procédés sont d’une tristesse épouvantable !
Le problème est simple : la réponse de l’État est une réponse de crise, elle ne répond pas à la réalité du terrain. Elle n’est pas adaptée à la situation car on ne traite que l’urgence. Or le problème doit être pensé sur du long-terme.
La nouvelle loi immigration en préparation est faite par des fonctionnaires qui ne prennent pas en compte l’ampleur de la situation et qui sont trop éloignés de la réalité.
- Pensez-vous qu’on peut distinguer réfugiés et migrants économiques ?
Je pense surtout que ce n’est pas au ministère de l’Intérieur de distinguer réfugiés politiques [qui fuient la guerre, NDLR] et les autres migrants [qui fuient la misère, des persécutions en raison de leur sexualité, religion, NDLR]. Ce n’est pas l’État qui décide d’accorder l’asile à un tel ou un tel mais l’Ofpra qui est un organisme indépendant. De quel droit l’Intérieur décide de qui peut venir ou non ? Nous avons signé des conventions internationales, nous nous devons de les respecter !
Je vais vous donner un exemple simple : un homosexuel qui vient d’un pays qui n’est pas en guerre mais où l’homosexualité est interdite a le droit de venir. Il a le droit de réclamer la protection de la France. C’est un droit international. Voilà. Ce n’est pas au ministère de l’Intérieur de décider !
- En France, de nombreux citoyens qui viennent en aide aux migrants se disent traqués par la police, certains sont accusés de délit de solidarité. Quelle est votre réaction ?
Il y a une obligation humaine. Mes valeurs à moi, en tant que croyant, sont d’aider l’autre comme un frère. Dès lors qu’il est en danger, mon devoir est de lui venir en aide. Ce sont mes valeurs.
Et je suis heureux de voir que des gens sont des bons Samaritains, que de simples citoyens ont encore le sens de l’humain et portent secours à des personnes dans le besoin.
Il y a une formidable mobilisation de Français qui distribuent chaque jour des repas, des couvertures, des tentes… Les préfectures estiment que ces démarches provoquent un appel d’air. En quoi fournir des tentes et de l’eau à des migrants provoquerait un appel d’air ? Je me le demande !
La France, pays des droits de l’Homme ? Ce n’est pas vrai, c’est de l’hypocrisie ! Il y a une véritable arrogance de la France qui ne respecte pas les valeurs qu’elle veut porter à l’étranger. J’ai aujourd’hui honte de mon pays. Je ne suis pas en cohésion avec la France d’aujourd’hui.
- Selon vous, la réponse à la crise migratoire est française ou européenne ?
La crise migratoire se joue à plusieurs niveaux. C’est avant tout un problème national car chaque pays doit mettre en place la politique migratoire qu’il souhaite mener. Ensuite, c’est un défi écologique, car le réchauffement climatique va provoquer l’exode de milliers de personnes dans les années à venir. C’est aussi un challenge au niveau européen. Il faut déterminer une véritable politique européenne, en mettant par exemple en place une structure similaire au Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) pour l’UE : un Haut-commissariat européen aux réfugiés. Cet organisme accompagnerait les États dans l’accueil des réfugiés et les aiderait financièrement. Sans ça, nous ne réglerons pas le problème.
- Pensez-vous être entendu au sommet de l’État ?
Je suis reçu le 3 janvier par deux conseillers du président Macron, nous verrons à ce moment-là ce qu’ils ont à me dire.