La traversée du désert entre la ville nigérienne d'Agadez et la Libye occasionne de nombreux drames. Accompagnant l'OIM en mission de sauvetage, Mohamed Aghali* est tombé sur le cadavre d'un migrant en plein désert. Il raconte à InfoMigrants.
"C'était en plein
été, la période où la chaleur est la plus écrasante. J'accompagnais des gens de
l'Organisation internationale des migrations (OIM) et on s'était arrêtés pour la nuit au lieu-dit "puits de
l'espoir", où il y a un grand hangar. C'est presque à mi-chemin entre
Agadez et Dirkou.
On a repris la route le matin et fait une vingtaine de kilomètres quand on a distingué deux silhouettes. Deux hommes. L'un marchait un peu plus en avant que l'autre. Ils avaient l'air épuisé, ils titubaient plus qu'ils ne marchaient.
On s'est dirigé vers eux et on s'est rendu compte qu'il s'agissait de migrants nigérians. Ils parlaient anglais et les premiers mots qu'ils nous ont dit étaient "water! water!" Ils étaient vraiment très mal en point et il ne fait aucun doute qu'ils seraient morts rapidement si on n'était pas tombé sur eux.
Puis ils ont commencé à crier "my friends! my friends!" en pointant du doigt derrière eux. On a compris que d'autres migrants en détresse étaient également perdus dans le désert. Une patrouille de l'armée nigérienne s'est alors joint à leur recherche. Les différents véhicules se sont séparés et on a commencé à faire des cercles allant jusqu'à environ 10 kilomètres de circonférence.
C'est comme ça qu'on est tombé sur un groupe de 12 migrants assis en cercle au milieu du désert. Leurs bidons étaient vides et certains parmi eux étaient allongés, immobiles mais vivants. Les militaires ont retrouvé encore 12 autres personnes éparpillées faisant parti du même groupe. Au total, c'est donc 26 migrants, tous Nigérians, qui ont été sauvés ce jour là. Ils nous ont raconté que leur passeur les avait laissés dans le désert en leur disant qu'il allait chercher de l'eau. Ils affirment avoir survécu 3 jours comme ça, après avoir été abandonnés.
Une macabre découverte
Mais la patrouille militaire nous a également annoncé une macabre découverte. Les soldats avaient retrouvé le corps sans vie d'un migrant, isolé du groupe. On est allé voir pendant que l'armée appelait la police de Dirkou. Les premières observations pouvaient laisser penser à un meurtre.
La scène était difficilement soutenable parce que le cadavre avait commencé à gonfler et l'odeur était horrible. Mais on pouvait clairement distinguer une blessure très importante au niveau du visage, juste au-dessus de l'oeil droit. Il y avait même des petits éclats de bois encore logés dans la blessure - apparemment il s'agissait des mêmes morceaux de bois qu'utilisent les migrants pour s'accrocher dans la remorque des 4x4 qui filent vers la Libye. Un bidon d'eau trainait ouvert à côté du cadavre, il y avait déjà un peu de sable dedans.
Les policiers de Dirkou ont mis plusieurs heures à nous rejoindre. Un infirmier les accompagnait; il portait une blouse, des gants, et un masque. La police a procédé aux constatations d'usage. Ils ont vérifié avec minutie mais il n'y avait aucune autre trace de pas ou de pneus en dehors des nôtres dans le sable. Le vent les avait sans doute effacées. Il n'y avait aucun élément permettant d'identifier le corps, ni dans ses poches, ni dans son sac.
Avant de repartir, l'infirmier a saisi une pelle et creusé une tombe d'environ 60 cms de profondeur en plein milieu du désert. Il a posé un bâche blanche au fond et poussé le cadavre de ce migrant inconnu à l'intérieur. Puis il a replié la bâche blanche sur le corps et recouvert le tout de sable.
Les 26 migrants nigérians rescapés ont affirmé que le migrant mort ne faisait pas partie de leur groupe. Ils étaient choqués mais conscients qu'ils auraient pu disparaître à tout jamais dans le désert, comme cet autre migrant inconnu.
* Le nom a été changé à la demande de la personne interviewée