Grâce à l'association marocaine pour l’intégration des migrants en Espagne, six jeunes sont hébergés à leur sortie du centre pour mineurs. Crédit : Leslie Carretero
Grâce à l'association marocaine pour l’intégration des migrants en Espagne, six jeunes sont hébergés à leur sortie du centre pour mineurs. Crédit : Leslie Carretero

En Espagne, les mineurs sont hébergés dans des centres d’accueil spécialisés mais à leur majorité ils sont livrés à eux-mêmes. Des associations leur viennent en aide, offrant un suivi personnalisé et un hébergement.

La télévision d’un petit appartement de la banlieue de Malaga, dans le sud de l’Espagne, diffuse des images d’une émission de télé-réalité espagnole. Les six jeunes, assis sur le canapé du salon, ont les yeux scotchés à l’écran. Originaires du Mali, de Gambie, de Sierra Leone et du Maroc, ils sont presque tous arrivés en Espagne à bord d’embarcations de fortune alors qu’ils n’avaient que 16 ans. La plupart viennent tout juste de fêter leurs 18 ans. "Je suis majeur depuis neuf jours", précise Issa, le Malien. Pourtant, à regarder les traits juvéniles de son visage, on lui donnerait bien quelques années de moins.

A leur arrivée en Espagne, ils ont été accueillis dans un centre pour mineurs à Malaga. "A leur majorité, les mineurs sont renvoyés des centres et se retrouvent livrés à eux-mêmes. Ce sont des associations comme la nôtre qui leur trouvent des solutions mais certains sont contraints de dormir dans la rue, sur la plage, dans des gares", explique Mohammed de l’association marocaine pour l’intégration des migrants en Espagne (Amim), qui joue aussi officieusement le rôle d’éducateur.

L’association loge donc Moussa*, Ibrahim*, Bakary*, Ali*, Ahmed* et Yassine* pendant six mois et les aide à définir leur projet de vie - ensuite, ils seront transférés dans un autre centre pour une durée d’un an et demi. Les trois premiers continuent leur scolarité, Ali et Ahmed suivent une formation de cuisinier et Yassine est encore en recherche d’une école. Ils reçoivent tous 25 euros par semaine et doivent justifier leurs dépenses.

Une vie en colocation

Les règles de vie sont strictes, comme elles pourraient l'être au sein d'une famille. Chaque soir, ils doivent rentrer au plus tard à 22h, sauf le week-end où ils n’ont pas d’horaires à respecter. Le mobilier ne doit pas être changé de place et il est interdit de fumer dans les chambres. Les jeunes ne peuvent inviter quelqu’un de l’extérieur que sur autorisation de Mohammed.

Au-dessus de la télévision du salon trône un planning des tâches ménagères. Ali qui est arrivé en Espagne à 11 ans est chargé du ménage le dimanche. "J’ai de la chance moi parce que le samedi nous devons tous nettoyer l’appartement donc souvent le dimanche tout est déjà propre, je n’ai pas grand-chose à faire", dit-il en rigolant.

Comme n’importe quels jeunes de leur âge, ils se taquinent régulièrement entre eux. "C’est souvent Ali ou Ahmed qui font à manger, Moussa par exemple ne sait même pas faire chauffer de l’eau", se moquent ses camarades. Quand on leur demande s’ils ont des petites amies, les réponses sont hésitantes : "Non on n’en a pas mais Ibrahim oui. Il sort avec une Espagnole", disent-ils alors que ce dernier, timide, baisse la tête.

 Les jeunes sont tous deux par chambre Crdit  Leslie CarreteroLe week-end, Moussa, Ibrahim, Bakary qui se connaissent depuis le centre pour mineurs et qui vont dans la même école, jouent au football dans un club de la région de Malaga. Le rêve de Moussa est de devenir joueur professionnel. A l'évocation de ce sport, ses yeux brillent et il brandit fièrement une photo de lui prise dans les gradins du stade de Barcelone. "Sinon, je veux faire des études de mathématiques et de sciences", renchérit-il. Dans la chambre qu’il partage avec Ibrahim – ils sont tous deux par chambre - des exercices de mathématiques, à un niveau poussé, tapissent les murs.

Une difficile intégration

Ce jour-là, Mohammed de l’Amim passe leur demander comment s’est passé leur semaine. "Nous sommes là pour les accompagner car on ne peut pas devenir autonome du jour au lendemain. Quand ils sortent du centre pour mineurs, ils n’ont pas de référent donc on joue ce rôle", explique-t-il.

Pour ces jeunes qui parlent tous un espagnol quasi parfait – ils communiquent d’ailleurs entre eux dans cette langue – l’intégration est un parcours semé d’embûches. Quand ils deviennent majeurs, ils obtiennent une carte de séjour valable deux ans mais ce document ne leur permet pas de travailler.  En Espagne, pour qu’un étranger obtienne le droit de travailler, il faut pouvoir justifier d’un contrat de 40 heures valable minimum un an. "Mais même les Espagnols n’ont pas de travail donc c’est presque impossible pour les migrants", note encore Mohammed. Après trois ans dans le pays, les étrangers obtiennent automatiquement une carte de résident avec autorisation de travailler s’ils peuvent justifier de leur présence depuis toutes ces années (factures, rendez-vous médicaux…).

Beaucoup quittent donc l’Espagne pour un autre pays d’Europe, souvent la France ou les Pays-Bas. "Mais la majorité se rend compte que c’est aussi compliqué là-bas alors ils reviennent ici. Ils sont donc obligés de tout recommencer, comme quand ils sont arrivés la première fois en Espagne. C’est très dur pour eux", constate Mohammed.

* Les prénoms ont été modifiés

 

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