La région d’Almería, dans le sud-est de l’Espagne, est connue pour sa production de tomates qui inonde le marché européen. Les agriculteurs recrutent chez les migrants pour un salaire dérisoire.
Il est 17h ce samedi de mai et le campement sauvage de Barranquete, dans la région d’Almería en Espagne, semble vidé de ses habitants, laissant penser à un lieu abandonné. Ils sont pourtant entre 300 et 400 à vivre ici, dans ce camp de fortune installé entre deux voies rapides.
Au milieu des "maisons" délabrées, des centaines de détritus
jonchent le sol. Les chiens et chats errants slaloment entre les canettes de
soda, les paquets de cigarettes, les boites de conserves, les bidons d’eau
vide, les bennes à ordures qui débordent, les morceaux de ferrailles… Au loin,
entre les montagnes, on peut apercevoir de grandes bâches blanches, des serres
qui abritent des cultures de tomates.
Système D
Très vite, un petit groupe d’hommes se forme et les langues se délient. La majorité des résidents sont des Marocains arrivés illégalement en Espagne par la mer via des embarcations de fortune. "Même si la vie est difficile ici, c’est toujours mieux qu’au Maroc", lance Kassimi qui tout juste arrivé, à toute allure au volant de son vélo. Le jeune homme de 31 ans, cicatrice sur le nez et barbe de trois jours, ne mâche pas ses mots quand il évoque son pays : "Le roi est un voleur, il ne sert à rien à part prendre notre argent", dit-il. Autour de lui, ses compatriotes s’empressent d’acquiescer, des rires fusent. L’ambiance est détendue. Malgré la fatigue que trahi leurs traits tirés, les migrants arborent tous, ce jour-là, un large sourire.
Dans le camp, le système D fait loi. Les habitations sont
faites de morceaux de tôles, briques, chaux, bâches… "On trouve de tout
dans le coin, on récupère des matériaux à gauche, à droite, et on les utilise pour
construire nos maisons", explique Abde Essamade qui fume cigarette sur
cigarette tout en buvant son thé à la menthe. Depuis un an, ce jeune de 25 ans
partage son habitation avec un autre Marocain. À l’intérieur, le confort est rudimentaire
: une cuisine de fortune, un petit lit pour deux et une minuscule pièce qui
fait office de salle de bain.
Pour avoir de l’électricité, les Marocains se débrouillent en trafiquant les câbles électriques qui surplombent le camp. Tout comme pour l’accès à l’eau qu’ils obtiennent grâce à un puits situé non loin du campement.
Un travail dans les champs de tomates
La présence de ces migrants qui vivent dans le dénuement le plus total n’est pas un secret. "Les autorités savent que nous sommes là, ils passent de temps en temps en voiture et font des rondes", raconte Abde Essamade. Des associations comme Médecins sans frontières (MSF) ou la Croix-Rouge viennent également plusieurs fois par mois apporter nourriture et vêtements aux habitants. Cela n’a pas empêché un jeune homme de se suicider par pendaison au début du mois de mai. "La misère tue", lâche l’un des habitants.
Tous disent avoir fui la misère dans l’espoir d’une vie
meilleure en Espagne. Pourtant, leur quotidien reste précaire. Certains comme
Kassimi vivent ici depuis deux ans mais n’ont toujours pas de papiers
espagnols. D’autres à l’instar de Jawad, 37 ans mais qui en parait 10 de plus,
possèdent des papiers en règle mais ne trouvent pas de logement, dû à l’absence
de travail déclaré. "Je voulais faire venir mes deux enfants et ma femme
restés au pays mais je n’ai pas de contrat de travail pour prétendre au
regroupement familial", souffle Jawad. "Je me sens seul ici, c’est
très dur. On se parle souvent sur WhatsApp avec ma famille mais ils me manquent
beaucoup", glisse-t-il timidement.
>> À relire : Espagne : la difficile intégration des migrants mineurs
devenus majeurs
La situation géographique de ce camp n’est pas due au hasard : la région est connue pour la culture de la tomate. Selon Karim*, un immigré marocain installé en Espagne depuis 20 ans, qui possède deux hectares de champs de tomates, "les Espagnols ne veulent pas faire ce travail alors on emploie des migrants".
Il faut dire que la pénibilité du labeur est de taille. À l’intérieur de la serre, la chaleur peut rapidement devenir insupportable.
L’été, la température peut grimper jusqu’à 35 degrés et l’hiver descendre à -2.
Ce jour-là, les six migrants marocains présents arrachent les anciennes pousses
de tomates pour préparer la saison prochaine. Ils ne lèvent pas la tête de la
terre et passent huit heures par jour dans le champ pour un salaire maximum de
35 euros. "Je ne trouvais pas de travail au Maroc, ici au moins je gagne
un peu d’argent", avoue Issam, un jeune de 25 ans qui travaille ici de
manière illégale. "L’été par contre c’est difficile car on n’a pas de
travail pendant trois mois (la saison des tomates court de septembre à fin mai,
NDLR) alors on fait des petits boulots mais qui ne nous rapportent pas
suffisamment", dit-il encore.
Les tomates que les migrants cueillent seront ensuite
vendues sur le territoire espagnol et sur tout le marché européen,
"jusqu’en Russie", déclare fièrement Karim. Elles sont de la
variété "Rosita" et selon l’exploitant sont les plus chères d’Espagne.
"On les vend 95 centimes le kg. Dans le marché, vous les trouverez à 6
euros le kg", explique-t-il.