Le défi de la réintégration (3/3)

Rapatriés camerounais, la fin d'un exil

JULIA DUMONT
par Publié le : 03/05/2018 Dernière modification : 02/05/2018
Rapatriés de Libye par l’OIM, les anciens migrants camerounais doivent retrouver leur place dans leur pays et débuter de nouveaux projets. Mais parfois, la réalité qu’ils avaient cherché à fuir les rattrape.
Albert est parti du Cameroun en 2010 dans l'espoir de trouver du travail en Europe. Crédit : Adrienne Surprenant/ Collectif Item
Une quincaillerie pour un nouveau départ
Albert est parti du Cameroun en 2010 dans l'espoir de trouver du travail en Europe. Crédit : Adrienne Surprenant/ Collectif Item

Il fait une chaleur étouffante dans la petite quincaillerie du quartier Emombo, à Yaoundé. Toute la journée, les clients défilent pour acheter pinceaux, clous, tuyaux en plastique et autres outils de bricolage.

Le gérant, Albert Fotso, 30 ans, occupe ce petit emplacement depuis la fin du mois de février dernier. Pour lui, c’est un nouveau départ. Albert a passé sept ans à l’étranger, à errer de pays en pays, avant d’être rapatrié au Cameroun depuis le Niger par l’Organisation internationale des migrations (OIM) en octobre 2017.

Lorsqu’il quitte le Cameroun en 2010, il rêve de rejoindre un de ses amis en Espagne. Vendeur de vêtements à la sauvette à Yaoundé, il a du mal à joindre les deux bouts et espère trouver facilement du travail en Europe. Confiant, il n’hésite pas à laisser derrière lui son fils âgé de quelques mois.

Après un bref passage par la Côte d’Ivoire, Albert poursuit son périple vers l’Algérie. Là-bas, il vit de petits boulots et apprend la maçonnerie. Mais après un an, rattrapé par son rêve d’Europe, il quitte l’Algérie pour la Libye, espérant atteindre rapidement les côtes italiennes par la mer Méditerranée.

Ce qui ne devait être qu’un passage se transforme en calvaire. Dès son arrivée à Ghadamès, une oasis située en plein désert de Libye, à quelques kilomètres des frontières algériennes et tunisiennes, il est kidnappé. Ses ravisseurs demandent à sa famille de payer une rançon de 1 200 dollars américains (environ 995 euros, soit environ 653 000 francs CFA), une somme énorme pour cette famille camerounaise modeste.

Emprisonné avec d’autres migrants, il profite un jour d’une bagarre pour s’enfuir et retourner en Algérie. Albert s’installe alors à Oran et travaille comme maçon sur des chantiers avant de reprendre la route en 2013, direction le Maroc.

"L'Europe ou la mort"

Depuis Nador, au nord-est du Maroc, l’enclave espagnole de Melilla - la porte de l’Europe -, semble à portée de main. Albert tente sept fois de franchir la haute barrière qui protège la zone, sans succès. "La police nous jetait des pierres. Parfois, on tombait de la barrière", raconte-t-il.

Gravement blessé à la jambe au cours de sa 7e tentative, il renonce à entrer dans l’enclave espagnole. Avec onze autres personnes, il achète un bateau gonflable, “un Zodiac”, précise Albert. Depuis Tanger, le groupe essaye à dix reprises de rejoindre Tarifa, de l’autre côté du détroit de Gibraltar. "À chaque fois, la marine marocaine nous arrêtait, se souvient Albert. Bien sûr, c’est difficile, mais quand tu as un rêve, tu continues. Pour moi, c’était l’Europe ou la mort."

En 2017, Albert quitte définitivement le Maroc pour retourner en Algérie. Il découvre un pays changé. Les migrants subsahariens, tolérés depuis 2012, ne sont plus les bienvenus. Ils sont expulsés vers les frontières des pays voisins. "Je ne pouvais plus me déplacer sous peine d’être arrêté", explique Albert.

Expulsé vers le Mali, il parvient à revenir en Algérie mais finit par quitter définitivement le pays lorsqu’il est envoyé avec d’autres migrants dans la ville d’In Guezzam, dernière localité algérienne avant la frontière du sud du pays et le Niger.

Lassé de migrer sans parvenir à s’installer quelque part, Albert finit par signer un accord de déportation à Niamey, la capitale du Niger, pour être rapatrié au Cameroun par l’OIM.

Albert a ouvert sa boutique en février 2017. "Depuis, tout le monde vient me demander de l'argent", se désole-t-il. Crédit : Adrienne Surprenant/ Collectif Item
"Si tu veux aller en Europe, travaille dur et achète un billet d'avion"
Albert a ouvert sa boutique en février 2017. "Depuis, tout le monde vient me demander de l'argent", se désole-t-il. Crédit : Adrienne Surprenant/ Collectif Item

À son retour fin octobre 2017, il trouve le Cameroun inchangé. Seuls les prix ont évolué, à la hausse. C’est un retour à la case départ. "J’ai perdu 7 ans de ma vie. Quand je suis parti, j’avais 23 ans, aujourd’hui j’en ai 30 et j’ai tout à recommencer", confie-t-il.

Le programme de réintégration de l’OIM lui octroie une aide financière pour lui permettre de débuter une activité professionnelle. Il choisit d’ouvrir une petite quincaillerie dans un quartier populaire d’Emombo. "Le Cameroun est en construction donc les quincailleries fonctionnent bien mais pour satisfaire les clients, il faut avoir toute sorte de qualité de marchandises", explique le jeune commerçant.

Pour pouvoir diversifier les produits qu’il vend, Albert a dû s’endetter auprès de son fournisseur. Aux dépenses obligatoires pour la boutique s’ajoutent les taxes qui lui sont imposées par les autorités. "Cela fait un peu plus de deux mois que je suis là et tout le monde vient me demander de l’argent", se désole-t-il.

Albert doit finir de payer ses impôts avant la fin de la semaine prochaine. Entre la TVA, la taxe sur l’hygiène et les impôts locaux, le jeune commerçant est pris à la gorge. D’autant plus que les taxes exigées ne sont pas toujours très officielles : "Un jour, un agent est venu me demander de payer une taxe parce que, selon lui, les marches qui mènent à ma boutique ne sont pas conformes."

Pour garder la tête hors de l’eau, Albert a demandé à son fournisseur de matériel de lui faire crédit. Il est aussi retourné vivre dans la maison familiale. Malgré toutes ces difficultés, il estime "avoir de la chance".

“Maintenant je n’ai plus rien”

Même avec ses proches, le retour n’a pas été simple. Dans la famille d’Albert, tout le monde n’a pas compris qu’il revienne les mains vides. "Encore aujourd’hui, on me fait des réflexions", soupire-t-il. Parfois Albert semble ne plus comprendre lui-même pourquoi il a, un jour, pris la décision de partir. "Quand j’ai quitté le Cameroun en 2010, j’avais 120 000 Francs CFA en poche [environ 180 euros], maintenant je n’ai plus rien".

En plus des difficultés économiques, Albert doit gérer les conséquences de son absence prolongée sur ses proches. "J’ai un fils qui est né en 2009. Il ne connaît pas son père […] Il est dans un village à l’ouest du Cameroun avec sa mère. J’essaye de lui envoyer de l’argent quand je peux."

Son petit frère Amando, 21 ans, a bien conscience qu’Albert n’a pas la vie facile. "Je pensais qu’à son retour, il aurait de l'argent, mais je comprends qu’il a beaucoup de difficultés". Albert lui a raconté ce qu’il avait vécu pendant ses sept années d’exil. Aujourd’hui, il ne conseillerait pas à son petit frère de partir comme il l’a fait. "Je lui dis, mon frère, si tu veux aller en Europe, travaille dur et achète un billet d’avion."

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Crédits
Texte : Julia Dumont
Photos : Adrienne Surprenant/ Collectif Item et Julia Dumont
Édition : Amara Makhoul
Graphisme et développement : Studio Graphique - France Médias Monde