De la fac de droit aux champs d'ananas (1/2)
Tout est calme dans le petit village de Zili, à une trentaine de kilomètres de Yaoundé. La route qui relie Douala et son port de marchandises à la République centrafricaine passe en contrebas des quelques maisons en terre séchée de ce petit bourg. Au bord de la route, quelques femmes vendent du riz et de la sauce aux arachides sous un arbre. Quand un camion passe à toute vitesse, il faut suspendre sa conversation et se protéger le visage du nuage de poussière rouge qu’il soulève.
Dans les champs qui entourent Zili, l’ananas est roi. C’est là que Patrick Djampa cultive sur 3 hectares ce fruit presque magique tant il assure un bon rendement économique avec un minimum de travail.
Rien ne prédisposait pourtant ce Camerounais de 36 ans à devenir gérant d’une exploitation agricole. Lorsqu’il a quitté le Cameroun en mars 2011 pour préparer un doctorat au Centre de Droit Maritime et Océanique de l’université de Nantes, il se voyait bien professeur d’université.
Patrick Djampa rentre soutenir sa thèse de droit maritime le 8 mai
2015 à Yaoundé puis retourne en France. Depuis longtemps, il sait que c’est au
Cameroun qu’il veut faire sa vie. "[Mais] c’est à ce moment précis que
j’ai su que je voulais me lancer dans l’agriculture", se souvient-il.
Retour à la terre
Quelques mois plus tard, une fois ses études terminées et alors qu’il n’a plus la possibilité de demander un renouvellement de titre de séjour en tant qu’étudiant, Patrick Djampa entend parler par la préfecture de Loire-Atlantique des aides au retour volontaire et à la réinsertion de l’Ofii (Office français de l’immigration et de l’intégration). Elles sont destinées aux demandeurs d’asile déboutés, aux personnes en situation irrégulière ou qui ont reçu une obligation de quitter le territoire français (OQTF).
Les personnes ayant obtenu une aide au retour peuvent faire une demande d’aide à la réinsertion. Les étudiants et jeunes professionnels en fin de séjour régulier sont également éligibles à ce dispositif. Les bénéficiaires reçoivent une aide financière de l’Ofii et sont encadrés pendant un an par un référent camerounais, prestataire de l’Ofii, chargé de les conseiller et de les orienter dans leur projet. Ils peuvent également bénéficier d’une formation.
"Le jour même je suis allé au bureau de l’Ofii de Nantes, détaille Patrick Djampa. J’ai parlé de mon projet agricole, une dame m’a aidé à monter un dossier et nous l’avons envoyé à l’ambassade de France à Yaoundé. Le 5 décembre 2016, mon projet d’exploitation d’ananas a été validé en comité", ajoute-t-il.
Ce solide et souriant gaillard confesse aujourd’hui avoir
étudié le droit jusqu’au doctorat pour prouver à des professeurs qui doutaient
de lui qu’il en était capable. Mais Patrick Djampa a en réalité toujours eu la
main verte. Élevé à la campagne par un père qui cultivait du café, du
cacao et des bananes plantain pour faire vivre la famille, il connaît tous les
secrets de la nature camerounaise.
Sur le chemin de terre qui mène à son champ, il montre les pieds de manioc qui ont poussé sur les talus, explique comment est fabriqué le charbon de bois naturel, repère les prunes roses qui mûrissent dans les arbres. Dans quelques semaines, elles seront vendues grillées sur les braseros des vendeurs à la sauvette dans les rues de Yaoundé.
Il faut dire que les défis ne font pas peur à cet amoureux de la nature. Il n’aime pas s’appesantir sur le sujet mais Patrick Djampa est handicapé d’une main. Il s’est gravement blessé quand il travaillait comme commis de cuisine à la clinique Saint Augustin de Nantes pendant la rédaction de sa thèse. "À partir de ce moment-là, tout est devenu un défi. Me lancer dans l’agriculture a fortiori."
En lançant son projet, Patrick savait qu’il allait devoir mettre la main à la pâte. Il choisit donc de faire pousser des ananas car leur culture exige peu de travail au champ. Deux mois avant la tenue du comité de validation de son projet à l’ambassade de France, il trouve un terrain dans le village de Zili. "C’est un proche qui en a fait l’acquisition, moi je lui loue." Les anciens propriétaires, Germain et Marie-Louise Nzengue, habitent encore sur place et font désormais office de gardiens. Patrick Djampa parle du couple de retraités avec tendresse et leur rend service dès que possible.
Les débuts sont difficiles. Le nouvel agriculteur doit
financer le projet sur ses fonds propres avant de toucher la première tranche
de l’aide financière de l’Ofii fin février 2017. De plus, pendant quatre mois les plants
qu’il a mis en terre ne poussent pas, les hérissons s’attaquent au champ et
plusieurs employés partent avec leur paie sans avoir accompli le travail prévu.
"J’étais découragé, j’ai même complètement abandonné le projet pendant un mois. Quand je suis revenu il y avait des mauvaises herbes partout", se remémore Patrick Djampa. Heureusement, en mai 2017, sa rencontre avec Roméo Mbou , un ouvrier agricole plein d'entrain, lui redonne courage. "On a établi une manière de travailler avec peu de moyens. Je voulais faire une agriculture de qualité". Roméo Mbou est justement un spécialiste de la culture d’ananas sans pesticide. De son côté, Patrick Djampa s’est lui aussi formé à la culture d’ananas au naturel à l’École Pratique d’Agriculture de Binguela (EPAB).
Près d’un an et demi plus tard, ses efforts ont payé. Les ananas des champs de Patrick Djampa sont assez gros et sucrés pour être récoltés. L’entrepreneur vend déjà les fruits de cette première récolte et envisage de s’agrandir. "À travers le programme d’incubation de l’EPAB, je vais pouvoir étendre mon terrain. J’aimerais passer à 8 hectares", explique-t-il.
De nouveaux projets
Patrick Djmapa travaille aussi à l’installation d’une usine de production de jus d’ananas. Il est soutenu financièrement par le Dias’Invest 237, un projet du ministère camerounais des Relations extérieures financé par l’Agence Française de Développement et destiné à appuyer la création d’entreprises au Cameroun.
L’usine, dont la construction est prévue cette année, devrait permettre d’embaucher 14 personnes, dont des femmes. Patrick Djampa y tient beaucoup. "C’est important d’associer les femmes au projet. Elles ont besoin d’autonomie. L’égalité homme-femme est importante en France, je pense que c’est bien que j’essaye d’importer cela dans mon pays", souligne-t-il.
Pour le moment, Patrick Djampa a vendu plusieurs centaines d’ananas à Françoise Bayemi, la gérante de Fruitscam, une petite entreprise de Yaoundé qui produit des jus naturels et des confitures à partir de fruits cultivés sans pesticide dans la région.
Dans quelques mois les deux entrepreneurs seront concurrents. Pour le moment, ils s’entendent sur l’importance de créer des emplois locaux et à soutenir les populations les plus fragiles. "J’essaye de privilégier le recrutement de filles-mères et de femmes qui vivent dans la précarité", témoigne François Bayemi. Son entreprise, Fruitscam, emploie 85 % de femmes.