Les migrants mineurs au cœur de la débâcle (2/2)
À seulement 14 ans, Moussa* a déjà connu les affres de la pénurie de logements à Marseille. Avant d’avoir une place au squat Saint-Just, il dormait à la rue. Maltraité par son beau-père depuis le décès de son père en 2017, ce jeune Malien s’est laissé convaincre par son oncle de l’accompagner en voyage. D’abord à Bamako, puis ensuite vers l’Europe. “Je ne savais pas quoi faire d’autre alors je l’ai suivi”, confie-t-il.
Après un éprouvant périple à travers le Maroc puis sur un petit canot en mer, l’adolescent et son oncle ont fini par arriver en Espagne où ils se sont perdus de vue, Moussa ayant été pris en charge immédiatement en raison son jeune âge. “On m’a logé avec des mineurs dans un foyer, mais c’était difficile, je ne trouvais personne qui me comprenait, personne qui parlait ma langue, le Bambara. J’ai rencontré tout de même un Malien, lui il parlait le français. Donc on a décidé d’aller en France par le premier train qu’on a trouvé. J’ai toujours aimé ce pays", raconte le jeune homme dans sa langue maternelle, qu’un de ses amis traduit pour InfoMigrants. "Je ne suis presque pas allé à l’école, mais j’en ai une image de pays riche, les montres, les vêtements, les effets etc.”
Les migrants mineurs, accompagnés ou non, sont particulièrement nombreux à Marseille. D’abord parce que la ville est facilement accessible depuis les frontières italienne et espagnole. Ensuite parce qu’elle possède un vaste tissu associatif et a donc la réputation d’être solidaire, ce qui rassure les jeunes souvent trop impressionnés pour aller tenter leur chance à Paris. En outre, beaucoup de jeunes sont également envoyés à Marseille depuis d’autres départements, en vertu de la clé de répartition nationale censée équilibrer le nombre de mineurs isolés en fonction de plusieurs critères.
“En gros, un département plus peuplé reçoit un nombre plus important de MNA. Donc nous dans les Bouches du Rhône, on a un ratio plus important de MNA qu’en Ardèche par exemple. Il arrive qu’un mineur qui était logé en Ardèche, soit envoyé à Marseille à cause du système de répartition, alors qu’ici il ne pourra pas retrouver les mêmes conditions d’accueil à cause du surnombre de MNA”, regrette un des porte-parole du département.
Arrivé à Marseille par hasard, le jeune Moussa a passé ses premières nuits à la gare Saint-Charles comme beaucoup d’autres. “C’est là que des bénévoles du squat Saint-Just nous ont trouvé [lors d’une maraude] et nous ont proposé de dormir au squat.” Si le jeune homme est heureux d’avoir pour le moment un toit sur la tête et des repas chauds, il sait que la situation est précaire. Alors il s’accroche à l’éducation pour espérer construire une vie décente en France. “Je suis en train d’apprendre à lire et d’apprendre le français, j’ai toujours voulu parler cette langue. Grâce aux bénévoles de Saint-Just, je vais même pouvoir aller faire un test à l’école à Marseille au mois de mars. Je suis très pressé d’y aller”, raconte-t-il.
L’association les PEP 13, dans le 12e arrondissement, reçoit une dizaine de jeunes du squat Saint-Just. “Quand ils rentrent ici, ils sont tout de suite extrêmement motivés et déterminés. Ils voient l’école comme un tremplin vers leur nouvelle vie”, affirme Catherine Borios, présidente des PEP 13. Grâce à des cours de français et de mathématiques, l’objectif est de permettre aux jeunes (entre 16 et 20 ans) d’intégrer une classe de CAP ou un bac pro. En cas d’échec, l’élève entre dans une plateforme, une classe charnière se trouvant dans un lycée. Les PEP 13 affichent un taux de réussite au Diplôme d'Études en Langue Française de 98 %.
Les cours magistraux sont dispensés par deux professeurs dans des classes d’une quinzaine d’élèves. Deux médiatrices donnent, en plus, des cours de soutien en petits groupes de deux ou trois élèves. Leur rôle est aussi d’organiser des activités extérieures ou encore d’aider les jeunes dans leur insertion professionnelle grâce à des stages. “Elles développent un vrai lien de proximité et de confiance avec les jeunes”, se félicite Catherine Borios.
Les sorties pédagogiques sont particulièrement appréciées des jeunes qui se montrent friands de connaissances utiles et pratiques sur Marseille. “On leur présente aussi les associations susceptibles de les aider, on leur apprend à utiliser le réseau de transports ici, de connaître leurs droits ou encore les institutions”, explique Catherine Borios.
L’idée est d’offrir à ces jeunes “un endroit de confiance où ils peuvent se poser pour avancer dans leur vie”, résume Corinne Auffret, médiatrice des PEP 13. “Je ne sais pas s’ils sont plus mature ou moins mature que les autres, mais ils ont une maturité différente. L’école c’est leur priorité, ils sont impliqués, passionnés et engagés.
En 2017-2018 les PEP 13 ont accompagné 70 jeunes pour un budget d’environ 165 000 euros. Cette année, l’association a dû réduire à 45 jeunes après que le budget a chuté à 90 000 euros.
Sans aide de la région ni du département qui a pourtant la charge de mineurs isolés, l’association risque de devoir cesser son activité dès la rentrée prochaine. “On a reçu cette année 50 000 euros de la préfecture qui a décidé d’arrêter sa contribution car la somme qu’elle nous donnait fait désormais partie d’une enveloppe budgétaire à destination des quartiers en difficulté, or ce n’est pas forcément là que nos jeunes sont logés”, regrette Olivier Rossignol, directeur des PEP 13.
L’association espère pouvoir compter sur de nouveaux financements afin de poursuivre son action qu’elle sait essentielle alors même que le nombre de mineurs non accompagnés poursuit sa croissance allant de pair avec le besoin de leur prise en charge scolaire. Car sans ce filet de sécurité, sans cette bouée, les jeunes sont d’autant plus en proie aux réseaux de trafic de drogues et d’êtres humains.
Les histoires de réseaux de proxénétisme et de trafic de drogues visant les étrangers sont, d’après les associations d’aide aux migrants, monnaie courante à Marseille. “Comme à Paris, les gens doivent faire la queue à 3h du matin, dans le froid, sous la pluie, pour des questions administratives. On nous rapporte souvent que des trafiquants et des réseaux leur tournent autour alors qu’ils sont dans la file d’attente de la PADA. Ils exploitent ainsi facilement la misère des personnes et les mineurs sont une cible de choix”, explique Pascaline Curtet déléguée nationale de la Cimade dans le sud-est de la France.
Au centre névralgique des réseaux mafieux : les fameux quartiers nord de Marseille, bien sûr, mais aussi la gare Saint-Charles. C’est là que les migrants, bien souvent mineurs, éreintés par leur voyage et perdus, débarquent d’Italie ou d’Espagne et passent leurs premières nuits. C’est aussi là que proxénètes et trafiquants repèrent et approchent les migrants à la nuit tombée. “On nous raconte que des femmes ont subi des viols par des hommes qui leur proposent des hébergements. Des mineurs disent aussi qu’on leur a fait des avances, qu’ils sont démarchés par des hommes ou qu’on leur propose de la drogue”, poursuit Pascaline Curtet.
InfoMigrants a rencontré Achour, un jeune Algérien arrivé à 16 ans en France est tombé malgré lui aux mains d’un réseau de trafic de stupéfiants. Aujourd’hui repenti, il raconte comment il a été contraint de vendre de la drogue contre un logement. Désemparé, seul, ne connaissant ni ses droits en tant que mineur ni les associations à même de lui venir en aide, l’adolescent a été battu à plusieurs reprises pour avoir refusé notamment de vendre de la cocaïne.
Dans son dernier rapport annuel d’activité publié en mars 2018, la Mission Mineurs Non-Accompagnés (MMNA) du ministère de la Justice dresse le constat “de l’implication croissante de MNA dans des faits de délinquance.” Le document d’une trentaine de pages présente ces mineurs comme “des enfants en errance, déjà en difficultés dans leur pays d’origine et souvent repérés par des réseaux pour commettre des délits”, peut-on lire. “Fréquemment [vendeurs ou] consommateurs de produits stupéfiants, ils sont aussi très souvent des victimes de trafic d’êtres humains”.
Anne Gautier, militante du Réseau Éducation Sans Frontière (RESF) à Marseille explique : “Lorsque vous dormez à la rue depuis des jours dans le froid, sans manger et que quelqu’un vous propose de venir chez lui, vous finissez par accepter. Il peut s’agir d’un lambda venant chercher de la chair fraîche comme d’un réseau constitué de prostitution ou de trafic de drogues”, se désole-t-elle. Et de poursuivre : “Nous le savons, la police le sait, le département le sait. Je peux même vous dire qu’une fellation, ça coûte 10€ à la gare Saint-Charles. Mais ça reste un gros tabou, comme toutes les victimes d’abus, les jeunes ont peur de nous parler, peur d’être coupables, peur qu’on les rende coupables”.
Les stupéfiants, consommés et/ou vendus, viennent s’ajouter à l’équation. “Il y a un accès à la drogue très facile. Les jeunes consomment plutôt des médicaments, car c’est moins cher”, explique Sylvie*, l’éducatrice du jeune Achour au sein du ministère de la Justice. “Parmi les plus populaires en ce moment on a les substituts de Méthadone, le Rivotril et le Lyrica. Ça se vend 1€ le cachet. Ça détruit la tête, ça déconnecte complètement. Des médecins proches du marché aux puces nous disent qu’ils en voient beaucoup.”
Malgré sa prise en charge par la PJJ, Achour n’a, en effet, pas tout de suite pu être logé. Après son interpellation, il a passé six mois à la rue pour éviter de retourner chez son logeur et dans son réseau de trafiquants, puis trois mois dans un hôtel. Dans le département des Bouches du Rhône, les retards de traitement des dossiers s’accumulent.
“Normalement, lorsqu’un mineur arrive à Marseille, il doit aller se présenter à l’ADDAP13 où il sera identifié et répertorié sur une liste officielle. La loi dit que sa mise à l’abri doit être immédiate puis que son évaluation doit être faite dans les cinq jours. C’est à l’État de financer la mise à l’abri en attendant l’évaluation”, détaille Anne Gautier de RESF. Au bout des cinq jours, si la minorité est confirmée, le jeune tombe sous la responsabilité du Conseil départemental. Il est alors présenté à un juge pour enfant qui produit une OPP ordonnant la prise en charge globale du mineur : hébergement, scolarisation, suivi sanitaire et social etc.
Mais “en pratique, à Marseille, on en est loin”, continue Anne Gautier. “En moyenne, un jeune qui arrive est dans la rue deux ou trois mois au moins en attendant son évaluation. Puis il passe en moyenne trois ou quatre semaines dans un hôtel avant de bénéficier d’une vraie prise en charge”. Selon la militante, 150 jeunes à Marseille faisant actuellement l’objet d’une OPP ne sont pas pris en charge. “Une centaine d’entre eux dorment à l’hôtel, souvent dans des chambres miteuses d’hôtels de passe. Et une bonne cinquantaine est dehors.” Mais il ne s’agit là que de ceux dont on a connaissance. Beaucoup, comme l’a été Achour, restent à ce jour invisibles.
“Les autorités ont cruellement manqué d’anticipation. Cela fait trois ans que le collectif MIE 13 existe. Avant lui, il y avait l’association des Jeunes errants. Alors non, ce n’est pas un afflux soudain et imprévisible de jeunes migrants”, rétorque Anne Gautier, estimant qu’il faudrait à l’heure actuelle environ 100-150 places d’hébergement d’urgence pour les mineurs en attente d’évaluation. S’ajoute ensuite le besoin de places en MECS pour une prise en charge totale du mineur dès son OPP.
Brigitte Devesa affirme qu’en 2018, 250 places pour les MNA ont été créées. “Pour 2019, nous prévoyons l’ouverture de 100 places supplémentaires dans le courant du 2e semestre au sein d’un bâtiment qui se trouve près du siège du journal la Provence. Mais cela prend du temps car le bâtiment doit être évalué, sécurisé, aménagé etc. Nous lançons également un appel à projets qui consiste à ouvrir 500 places supplémentaires dans des MECS. Les associations ont jusqu’au 15 avril pour déposer leur dossier.”
*prénoms modifiés