L'espoir d'une nouvelle vie (2/2)

Africains et homosexuels : l'exil pour seul horizon

Charlotte Boitiaux
par Publié le : 23/04/2018 Dernière modification : 02/05/2018
Ils s'appellent Camara, Diawara, Yassin et Farid. Ils sont homosexuels dans des pays où le sujet est une honte, un tabou voire pire, un délit. Les premiers viennent du Mali et de Guinée, les seconds du Maroc. À moins de 30 ans, ils ont dû fuir leur pays terrorisés à l'idée de finir en prison ou terrifiés par le sort que pourrait leur réserver leur famille. Ils sont aujourd'hui demandeurs d'asile en France. InfoMigrants les a rencontrés dans le sud de la France grâce au Refuge, une association d'aide aux homosexuels isolés, qui leur a offert un toit et une aide psychologique le temps de la procédure d'asile.
"Ne me touche pas, laisse les clés et va-t’en !"

Les quatre jeunes hommes empruntent des chemins différents pour rejoindre le territoire français. Certains se confrontent à l’enfer libyen, à la traversée de la Méditerranée. D’autres ont la chance de partir en avion. Tous vont rejoindre le Sud de la France, plus précisément Montpellier, et seront épaulés par Le Refuge, une association qui vient en aide aux jeunes homosexuels isolés.

Camara n’a pas attendu longtemps avant de quitter le Mali. "J’avais peur, j’avais tellement peur". Le lendemain de la soirée au cours de laquelle il a été surpris en train d’embrasser son petit-ami, le jeune Malien demande l’aide de son amant pour passer la frontière. "Il m’a accompagné au Burkina-Faso en voiture, puis, la mort dans l’âme, il a dû repartir et me laisser là". 

Camara atteint le Niger, puis la Libye où il travaille quelques mois avant de tenter la traversée de la Méditerranée. Il rejoint l’Italie où il reste deux ans. "Je ne voulais pas rester là-bas, je voulais aller en France où il y a le ‘mariage pour tous’", explique-t-il en souriant. "Ici, c’est plus facile de vivre avec un homme".

Camara arrive à Montpellier, dans le sud de la France, un peu par hasard. "J’avais un ami malien dans cette ville qui pouvait m’héberger. Il ne savait pas que j’étais gay". Camara fréquente dans le même temps un "collectif de migrants". Mais l’homophobie le rattrape aussi en Europe. "Un jour, cet ami Malien m’a surpris avec un homme. Il m’a viré de chez lui. Il m’a dit : ‘Je ne veux pas que tu me touches. Laisse les clés dans la boîte à lettres et va-t’en !'". Camara se retrouve à la rue. Ses "marraines" du "collectif migrants" lui conseillent alors de se rendre au Refuge, une association d’aide aux homosexuels, également basée à Montpellier. "Elles m’ont dit qu’une association LGBT, ça serait mieux pour moi".

 Les locaux du Refuge  Montpellier dans le sud de la France Crdit  InfoMigrantsDepuis 2003, Le Refuge accueille et oriente - à travers 18 délégations en France - des jeunes homosexuels isolés, souvent exclus du domicile familial après avoir révélé leur identité sexuelle. Ce n’est qu’en 2014, année où le nombre de migrants cherchant à gagner l'Europe explose, que l’association ouvrira plus largement ses portes aux étrangers. "C’est un phénomène plutôt nouveau qui a suivi l’actualité de la crise migratoire", explique Frédéric Gal, le directeur général de l’association. "Depuis trois ans, nous sommes face à une importante demande de prise en charge de la part de migrants gays".

L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), seule instance à statuer sur les demandes d’asile, confirme la hausse des dossiers d’étrangers homosexuels. "Les demandes d’asile pour orientation sexuelle progressent en France", confirme Pascal Brice, le directeur de l’Ofpra. "Nous n’avons pas de chiffres précis, parce que nous n’avons pas le droit de faire ce genre de classification en France, mais je peux dire que ces demandes augmentent depuis 2013, elles sont surtout le fait des populations africaines. Ces dossiers-là font l’objet d’une attention particulière de la part de nos agents".

La double peine : condamné par sa famille et par la loi

Pour épauler les jeunes qui se présentent à l’association, Le Refuge propose un accompagnement (social, psychologique…) et un hébergement. À Montpellier, 12 places sont disponibles dans des appartements disséminés dans la ville. La moitié des logements sont actuellement occupés par des demandeurs d’asile étrangers, les autres par des Français. Camara, Diawara, Farid et Yassin font partie des locataires actuels. L’association héberge aussi un Camerounais et un Mauricien. "En 2016, 14 % des jeunes du Refuge étaient des demandeurs d’asile, en 2017, ils étaient 28 %. Le chiffre a doublé !", continue Frédéric Gal, le directeur de l’association.

Comment s’explique cette augmentation ? "Difficile de savoir, peut-être que les migrants homosexuels sont aujourd'hui mieux orientés par les autres structures. Peut-être aussi qu’on nous repère mieux", explique Frédéric Gal. "Quand vous tapez ‘hébergement gay’ sur Google, vous tombez sur nous". L’année passée, les homosexuels étrangers accueillis dans les différents Refuges en France étaient en majorité Albanais (11%), Algériens (10%), Marocains (7%), Camerounais (7%) et Ivoiriens (7%).

Le Refuge accueille des demandeurs d’asile, mais parfois aussi des "dublinés", des déboutés, des réfugiés. "Nous nous sommes adaptés à la situation actuelle", explique Frédéric Gal. "Les histoires des homosexuels étrangers que nous recevons sont violentes, sans doute plus violentes que celles qu’on entend habituellement, parce qu’ils subissent une double peine : la violence de la société et la violence de la loi [de leur pays] qui les condamne".

À chaque demande d’hébergement, le Refuge fait passer des entretiens. "Nous ne sommes pas là pour 'vérifier' qu’ils sont homosexuels, mais nous évaluons la crédibilité de leurs histoires. Pourquoi ? Parce que nous voulons que l’identité de notre association reste claire, nous venons en aide aux homosexuels. Quand d’autres publics viennent nous voir, nous essayons de les réorienter vers d’autres dispositifs". Reste que les homosexuels qui frappent à la porte du Refuge n’ont pas tous la chance d’obtenir un toit. "Nous ne pouvons pas héberger tout le monde, hélas. Nous essayons d’orienter ceux qui sont à la rue, de les répartir dans les autres Refuges du pays".

L’association offre aussi un accompagnement psychologique. "Nous essayons de faire comprendre aux Guinéens, aux Maliens, aux Marocains… qu’en France, on peut prononcer le mot ‘homo’ sans se faire tabasser. Nous sommes face à un public très fragile, qui doit apprendre à reconstruire ses repères, ses normes sociales, son rapport à soi. Ça peut donner le vertige", ajoute Frédéric Gal.

Morgane, une salariée, rappelle que l’association n’est pas seulement une structure d’hébergement. "Des temps de présence sont d’ailleurs obligatoires dans la semaine entre les bénévoles du Refuge et les jeunes hébergés. Nous sommes là pour les écouter, pour les aider à s’accepter tels qu’ils sont."

"Ici, j’ai appris que je n’étais pas malade"

"Ici, j’ai appris que je n’étais pas malade", confie Camara qui attend toujours une date pour passer son entretien à l’Ofpra. "J’ai appris que l’homosexualité n’était pas un choix. Avant mes amis me disaient que j’étais contagieux. Il n’y a pas longtemps, j’ai appelé ma mère pour lui dire. Mais elle m’a dit qu’elle ne voulait plus jamais me voir. Ma sœur non plus ne veut plus me voir."

"Moi, je suis heureux d’avoir rencontré Camara, et je suis heureux de le dire sans être jugé", affirme de son côté Diawara, également demandeur d’asile. 

Alpha*, un autre jeune du Refuge, guinéen lui aussi, aurait beaucoup de mal à se passer du soutien de l’association. Victimes de brimades, de tortures, il a fui Conakry en 2016 et attend aujourd’hui la réponse de l’Ofpra. "Je ne dors plus, je fais beaucoup de cauchemars", raconte le jeune homme croisé à la permanence. "J’ai du mal à me mêler aux autres aussi. À Montpellier, quand je sors dans la ville, j’ai un peu peur. Quand je croise un groupe de Noirs, je me méfie, je change de trottoir. J’ai peur qu’on me reconnaisse et qu’on me frappe".

Comme Alpha, Farid prend de nombreux anti-dépresseurs. Il se reconstruit lentement dans le studio mis à disposition par le Refuge où il vit avec Yassin - un appartement typique de garçons de 20 ans, à la décoration plus que sommaire. Les médicaments que Farid avale sont rangés au fond d’une petite étagère sur laquelle trône, seule, la télévision – constamment allumée. "On n’a pas encore beaucoup aménagé", sourit Yassin, en constatant que le petit balcon dont ils disposent pullule de chaussures et de vieux meubles abandonnés. "On est là que pour quelques temps. On espère libérer l’appartement quand on aura notre statut de réfugié, pour permettre à d’autres jeunes d’en bénéficier."

Le couple a eu la chance d’obtenir rapidement une place d’hébergement via le Refuge. "Au moment de fuir le Maroc, on a contacté toutes les associations d’aide aux homosexuels qu’on a trouvées sur internet : l’Ardhis, la Cimade, Le Refuge… On a envoyé des mails partout !" Le Refuge a été la première association à leur répondre. Les deux Marocains n’ont pas hésité. Après avoir demandé et obtenu un visa touristique pour la France, ils ont acheté deux billets et ont foncé à l’aéroport.

Farid et Yassin espèrent aujourd’hui faire leur vie en France. "On a déposé une demande d’asile en couple", s’amuse à répéter Farid en montrant son dossier dans lequel il a rassemblé toutes les preuves de sa persécution. "Prouver qu’on est homo, c’est dur. Prouver qu’on est harcelé pour son homosexualité, c’est plus simple", dit-il en montrant les textos de menaces, les messages d’intimidations reçus sur WhatsApp, et même une vidéo sur laquelle on distingue Yassin en train de se faire agresser devant une université de Marrakech.

"L’agent de protection de l’Ofpra qui a écouté toute mon histoire n’en pouvait plus de m’entendre", continue Farid en riant toujours plus fort. "Je crois qu’à un moment, il m’a dit : ‘C’est bon arrête de parler, je te crois !’". Fou rire général. Son copain Yassin reprend la parole, plus sérieux. "J’ai demandé la protection à la France, mais vous savez, je suis ne pas un profiteur. Je ne suis pas là pour profiter de l’argent des Français. Je vais reprendre mes études, trouver un appartement", dit-il. "Je vais remercier la France qui m’a aidé quand mon pays, lui, m’a laissé tomber".

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Crédits
Texte : Charlotte Boitiaux
Édition : Amara Makhoul
Graphisme et développement : Studio Graphique - France Médias Monde